Elle a commencé à la plonge, elle a 2 étoiles au Michelin

9 avril 2015

La chef Maria Marte connait une histoire digne d’un conte de fée. Originaire de République Dominicaine, elle a mené une longue lutte qui l’a porté au sommet de la gastronomie espagnole.

María-Marte-034

« Derrière tout cela, il y a beaucoup de combat et de travail, ce n’est pas un conte » explique la chef du Club Allard à Madrid, l’un des 21 restaurants 2 étoiles du guide Michelin 2015 en Espagne.

Petite femme brune à la peau mate, Maria Marte a quitté, il y a seulement douze ans Jarabacoa, ville de l’intérieur des terres en République dominicaine, entourée d’un paysage montagneux de cascades et de fleuves, « J’ai décollé à la recherche d’un visa pour le rêve ».
Elle avait alors 27 ans, était mère de trois enfants et a atterri directement au Club Allard à Madrid pour y faire la plonge – comme des milliers d’immigrants d’Amérique du Sud. Passionnée de cuisine, cette fille d’une pâtissière et d’un restaurateur local raconte qu’elle observait alors les cuisiniers avec jalousie, rêvant d’être un jour « de l’autre côté de la plonge ».
Jusqu’au jour où son ami, le voiturier, lui révèle qu’une place se libérait en cuisine et l’encourage à postuler. Seulement trois mois après son embauche. Sa première tentative fut infructueuse. Mais la seconde, couronnée de succès. A une dure condition toutefois : qu’elle continue la plonge.
« Je l’ai pris comme un défi », raconte-t-elle. « Ma vie n’était plus qu’une course », se souvient-elle en décrivant ses journées, où elle enchaînait les services de commis de cuisine puis de plonge, le midi et le soir… tout en bataillant à distance pour récupérer la garde de deux de ses enfants restés au pays.

Club-Allard-Cocina-218

« Parfois, je ne pouvais pas rentrer chez moi », dit-elle, évoquant des plages de sommeil sur place au travail. Six mois plus tard, le chef Diego Guerrero a tranché : « Cette dame est bonne pour la cuisine, il faut la sortir de la plonge » dit-il.
« Diego Guerrero m’a dit que c’était une grande enthousiaste, qu’elle se renouvelait toujours et dégageait beaucoup de force », indiquait récemment Martin Berasategui, le chef trois étoiles dans le pays basque.

Maria Marte est alors passée par toutes les parties — pâtisserie, entrées froides, viandes, poissons — et tous les échelons de l’univers très hiérarchisé de la cuisine : commis, chef de partie, jusqu’à devenir second(e) de Diego Guerrero, à une époque où le restaurant grimpait dans les classements (une étoile en 2007, une deuxième en 2011).
Et puis brutalement, Diego Guerrero est parti en octobre 2013, un moment difficile pour le restaurant. Très vite, la chef de cuisine a repris les commandes et sauvé le restaurant. Elle a lancé en quelques mois une vingtaine de créations, « elle a renouvelé la carte et chaque plat qu’elle inventait était un succès raconte sa Directrice ».
« Certains critiques ne lui faisaient pas confiance. Elle leur a cloué le bec lorsque Michelin a confirmé les deux étoiles », indique David Moralejo, rédacteur en chef de la revue culinaire Tapas Magazine.

María-Marte-069-317x350

Maria Marte est maintenant chef et dirige une brigade de 16 cuisiniers qui travaillent en harmonie. « Ils disent être d’heureux cuisiniers. Pourquoi ? Et bien parce que je suis la première à être heureuse et je leur transmets cela », dit-elle.
Sur les murs, près de la cuisine, elle a affiché ses slogans: « créatifs », « artisans », « délicats », « proches », « drôles ».
Maria, élevée entre fourneaux et sucreries, garde la mémoire des saveurs de son enfance, comme la confiture de papaye douce de sa mère. Elle explique créer une cuisine méditerranéenne qui ne renie en rien ses racines caraïbéennes et laisse une place aux épices, mais sans déguiser la saveur originale du produit.
Seule femme deux étoiles de Madrid, Maria Marte « est surtout une excellente cuisinière », qui devrait parcourir encore « beaucoup de chemin », assure David Moralejo.
La chef aspire à courir encore après les étoiles Michelin, mais déjà « je me lève et je me couche avec le sourire » chaque jour, dit-elle, heureuse.

(Source F&S)