Peter Goossens à cœur ouvert

6 avril 2014

Source Lecho.be

Le chef. Le maître. Le pape de la gastronomie belge. Le personnage public à l’image écornée. Peter Goossens est tout ça à la fois. À la veille de son cinquantième anniversaire, le chef le plus acclamé de sa génération évoque le passé et l’avenir.  » J’ai craqué, mais ma passion pour la cuisine m’a sauvé.  »

Il y a vingt ans, il décrochait sa première étoile Michelin. Il y a dix ans, il remportait pour la première fois le score exceptionnel de 19,5 sur 20 au Gault et Millau. Le restaurant Hof van Cleve qu’il a fondé en 1987 à Kruishoutem est, depuis des années, le restaurant le plus célèbre du pays. Mais derrière ces chiffres se cache un parcours semé d’embûches.

C’est un Peter Goossens disert que nous rencontrons ce mardi après-midi dans son restaurant. Nettement plus bavard qu’il y a quelques années, quand il passait toutes les semaines à la télé. Pourtant, ce n’est pas vraiment quelqu’un qui se dévoile facilement lors d’une interview. Quand il est question de cuisine, ses yeux se mettent à pétiller comme ceux d’un jeune chef. Il explique au photographe comment il fait pour ne jamais rater une mayonnaise,  » Utilisez un peu de vinaigre à l’estragon « , tout en découpant un steak mémorable.

Glace aux pickels

Jusqu’à il y a une dizaine d’années, Peter Goossens était surtout célèbre parmi ses collègues et un groupe relativement restreint de foodies qui étaient séduits aussi bien par son esthétique culinaire – il a été le premier à dresser les plats en hauteur -que par ses interprétations raffinées de classiques belges : le chef en a surpris plus d’un avec une glace aux pickles, par exemple. Les années suivantes, nous avons surtout eu affaire au Goossens superstar. Il a fait et défait sans sourciller des réputations de cuisiniers dans des programmes pour la télé flamande VTM. Il a été le cofondateur et le coactionnaire de Njam, la chaîne de cuisine de Studio 100. Il a été directeur de l’entreprise de catering haut de gamme Belgocatering. Il a fourni des recettes à Delhaize et à KLM. Il a ouvert une brasserie à Bruxelles, place Royale.
Toutes ces activités, le top chef les a abordées avec la même ténacité que celle qui lui a valu ses trois étoiles Michelin. Par exemple, un jour, au beau milieu d’un tournage, Peter Goossens a exigé un autre cameraman. Une autre fois, le chef a passé la serpillère dans la cuisine d’un participant à Mijn Restaurant parce qu’on ne peut pas travailler dans une cuisine sale !
 » Il est sans doute arrivé plus d’une fois que quelqu’un me traite en son for intérieur de connard « , se souvient-il. Tout en ajoutant, l’air de ne pas y toucher, que cette passion a tout de même fourni des émissions attirant plus d’un million de téléspectateurs. Et, après chaque émission, Peter Goossens était le premier à checker l’audimat, dès le lendemain matin.

Amour du métier

Pourtant, quelque chose a dérapé. Un tempo épuisant, un travail acharné même les jours de congé, un régime déséquilibré… La combinaison de tous ces éléments a donné un burn-out.  » Le coup de massue « , ce sont ses mots pour qualifier 2012, son annus horribilis à lui. Comment a-t-il pu en arriver là ? Le chef réfléchit un instant :  » Je ne sais pas dire non et je suis perfectionniste. Une combinaison qui s’est avérée très difficile.  »
 » La détermination qui l’a porté au sommet l’a également démoli « , ajoute son épouse qui, entretemps, nous a rejoints. Peter Goossens :  » Il faut le dire : en tant que top chef, vous jouez deux matchs de Champions League par jour. Et puis, vous prenez des engagements supplémentaires, encore et encore. Pourquoi ? Je dois admettre qu’être aussi demandé était flatteur. Mais à la longue, on ne connaît plus ses limites. Et finalement, la seule vie que vous menez est votre vie publique. Je n’ai pas été raisonnable. Je me suis laissé faire. On disait de moi que je changeais en or tout ce que je touchais. Un moment, ça m’a rendu euphorique, même si je n’ai jamais vraiment cru que c’était vrai. Mais en définitive, tout ça m’insécurisait, j’avais peur de commettre des erreurs. Et puis, j’essayais toujours de confirmer le choix des gens, de montrer que je pouvais le faire. À la fin, j’étais fini, éteint, je vivais en pilotage automatique. Je ne pouvais plus rien encaisser. Cette année-là, j’ai foncé dans le mur.  »
 » Non, Peter « , rectifie son épouse.  » Tu n’as pas foncé dans le mur, tu as défoncé le mur.  »
Pour comble de malheur, Michael Vrijmoed, le second qui, pendant des années, a exécuté à la perfection le style du maître, est parti. À un certain moment, pendant cet annus horribilis, grâce au soutien de son épouse, le chef s’est retrouvé.  » Ma passion pour la cuisine m’a sauvé. Je n’ai jamais perdu l’amour du métier, voilà à quoi je dois mon salut.  » Alors, il a pris des décisions drastiques. Il a mis un point final à tous ses projets pour la télé. Il a quitté Njam. Il a supprimé la quasi-totalité de ses apparitions publiques.  » J’ai dû poser des limites. J’étais devenu un personnage public. Tout ce que je faisais en dehors de mon restaurant se retrouvait à la une des journaux people. Il fallait que ça cesse.  » Suite au départ de son second, Peter Goossens se retrouve au piano.  » En tant que chef, il faut se remettre en question de temps en temps. Le départ de Michael était le bon moment pour le faire.  »

La cuisine du Hof van Cleve a fortement évolué : Peter Goossens ne délègue plus, il se consacre entièrement à ses plats, qu’il fignole dans les moindres détails. Alors qu’autrefois on y servait des compositions complexes et virtuoses, avec jusqu’à dix ingrédients compliqués sur l’assiette sollicitant toute l’attention.
Aujourd’hui, le chef sert une cuisine d’une simplicité raffinée. Une perdrix aux chicons avec des frites. Des langoustines aux cèpes. Une dame blanche. Même le chariot de fromages a été revu et corrigé : l’imposant chariot avec des dizaines de fromages a été remplacé par une version plus petite et plus élégante sur laquelle sont présentés juste quatre fromages. C’est comme si le chef disait :  » Regardez, j’ai sélectionné le meilleur du marché.  » C’est d’ailleurs le cas.  » Même pour le fromage, il y a des saisons. Nous proposons ceux qui sont les meilleurs à ce moment-là.  »

Petites fleurs

Less is more. C’était la devise de l’architecte star du Bauhaus Mies van der Rohe et, depuis 2013, c’est aussi celle de Peter Goossens.

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